Quid !?!
Blankass



 

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Propos recueillis par Marjorie Risacher © 2003 RFI Musique

 

Paris, le 9 mai 2003 - Enfin, le troisième album d’un groupe de rock que l’on croyait perdu. Il faut dire que pour arriver là, les six de Blankass ont du se débattre au sein de méandres judiciaires contre leur ancienne maison de disques. Trois années de démêlés qui les couronnent vainqueurs à tous les niveaux, autant procéduriers que musicaux. Rencontre autour de leur nouvel album, l’Homme Fleur.

 
Blankass © 2003 Up Music
Blankass
© 2003 Up Music
Ils ont donc eu le temps de le peaufiner cet Homme fleur. Pourtant, construire un album sans jamais être sûr de sa sortie n’est pas chose facile. Surtout quand on a déjà connu le succès. « Il y a des jours où c’était vraiment difficile moralement, raconte Johan (guitariste et compositeur) mais on avait une espèce de foi qui nous disait que dans n’importe quel cas on arriverait à faire ce disque. Quand et comment sont des questions qui restaient sans réponse. Alors on fonçait et on travaillait. Cela a été deux ans et demi de répétitions, d’écriture, donc finalement très productifs. Et cette histoire nous a rendus vraiment très proches. Maintenant on se sait capable de traverser une tempête ensemble. Je ne sais pas si beaucoup de groupes seraient restés intacts après cela. » A côté de lui, Guillaume (son frère, chanteur et parolier) sourit: « On a gagné deux fois notre procès. On a gagné la liberté et les dommages et intérêts face à Universal, mais on a également gagné quelque chose de plus profond, comme si l’on avait reçu un papier signé qui certifiait que l’on était six frères. » 

Réorganisation

Aujourd’hui, les deux (vrais) frères s’adonnent avec joie au jeu de la promotion, courent de rendez-vous en rendez-vous sans rechigner, mangent sur le pouce tout en s’excusant et en répondant à la millième question de la journée. Au centre de la table et de la conversation trône le disque « L’Homme fleur », un titre évoquant ceux, membres d’une tribu ancestrale, capables de faire une centaine de kilomètres dans la jungle, rien que pour chercher une fleur. A l’intérieur, les tâches y semblent plus définies que sur les albums précédents. Guillaume propose tous les textes, Johan est à l’origine de la majorité des compositions, l’ensemble se termine avec la participation de tous les membres de Blankass. Il arrive toutefois que Guillaume ait une idée de musique. Johan acquiesce: « C’est en effet le cas pour ‘La croisée’ et ‘Pour la lumière’. Il arrive avec presque une grille d’accords à la guitare et une mélodie de chant. Il traduit ce qu’il a envie d’entendre et moi je bidouille avec cela ».

Autre exception: « Sur la branche », une chanson étonnement acoustique pour ce groupe de rock, une formule épurée à une simple guitare-voix. Cette fois-ci, c’est le bassiste du groupe qui en est l’initiateur. « On était en répétition et Bruno a soudainement joué cette mélodie, raconte Guillaume. Il ne se rendait pas compte que j’étais totalement attentif à ce qu’il faisait. Puis je l’ai chantée avec lui, j’ai écrit des paroles. Il faut savoir que le titre définitif est la version enregistrée en répétition, on n’y a pas touché, elle a juste été remasterisée » Johan complète: « On trouvait qu’il se passait quelque chose. C’est un premier jet en fait. Il n’y a eu qu’un seul enregistrement de ce titre et c’est celui là! » 

Maturité

Mais parler de cette chanson c’est aussi faire allusion à l’évolution de Blankass. Moins rock électrifié, moins hargneux, plus assuré. Guillaume et Johan en ont conscience. « On va aujourd’hui vers des choses simples. Il y a dix ans, on n’aurait jamais osé, on aurait rajouté des tonnes de trucs. On a moins de complexes, moins de pudeur. Pour Sur la branche, on aurait mis une deuxième, voire une troisième guitare pour mieux se planquer! » Moins se cacher vocalement, c’est ce que fait également Guillaume sur ces nouveaux morceaux à l’énergie plus douce. « C’est le premier album où je me sente bien vocalement. Il faut dire aussi que le disque précédent était très tendu, très braillard. Aujourd’hui, il y a une certaine sérénité. »

La sérénité s’étend d’ailleurs jusque dans les textes où les choses ne sont plus dites de la même manière. Pourtant les thèmes restent inchangés: l’indépendance, la liberté, la communication, le non-conformisme, l’imprévu. Mais tout cela est simplement dit, non plus hurlé, revendiqué. Guillaume explique: « Je n’ai plus envie de politiser mais d’humaniser. Même la chanson sur le thème de la mondialisation n’est que l’histoire d’un seul mec qui a été attiré par les paillettes et qui s’est trompé. C’est mieux, la cause est la même mais sans le côté donneur de leçon ». Même le titre « C’est moi » qui aurait pu être le plus révolté et revendicateur évite l’écueil. Le résultat en est plus fort et affiche un côté mystérieux. « C’est moi,c’est de la science fiction! C’est Alien en fait: quelque chose qui vit à l’intérieur d’un corps et qui lui dit: A chaque fois que tu dis non, que tu te révoltes c’est moi qui parle. » Et pour les plus attentifs, une virgule musicale de quelques secondes reprenant (à l’envers) un des thèmes musicaux de cette chanson, réapparaît trois minutes après la fin du disque (une mini plage fantôme). Cette fois c’est Johan qui reprend la parole en s’esclaffant: « L’idée de faire un tout petit jingle caché au fond me plaisait beaucoup. C’est un peu une référence à Sergent Pepper des Beatles. Ici c’est bien sûr l’idée de la petite bête Alien qui revient et qui signifie qu’elle est toujours présente! »

Un canal d’énergie

La dernière des surprises de L’homme fleur est la présence d’une reprise surprenante: «Another Brick in the Wall » des Pink Floyd. Nous sommes en effet loin des influences revendiquées de Clash ou des Pogues. Quoique la version proposée dérange l’originale bien secouée: « Cest une version un peu punk! s’exclame Johan. Au départ, c’est un gag. Pour moi, ‘Another brick in the wall’ est une chanson ambivalente. C’est un tube interplanétaire, il y a une mélodie incroyable. En même temps, elle a un côté incroyablement ringard. Donc la démarche était de prendre une bonne chanson et de la bouleverser complètement, de la punkiser! » Quoique encore, c’est Spider Stacy, ex-membre des Pogues qui y prête sa voix écorchée « Spider est un ami. On s’était dit qu’on ferait quelque chose ensemble un jour. On trouvait cela rigolo de lui proposer cette reprise. Au début il a même cru que c’était une blague! »

Les aficionados sont aux anges: Blankass a grandi. Ils ont creusé un canal d’énergie pour éviter les inondations, aiguisé leurs plumes sur pages et partitions, apaisé leurs âmes et leur musique (il y a même du oud). Les détracteurs concluront sûrement que la voix reste trop inspirée et peu inspirante sur les chansons plus rocks, jugeront l’ensemble non bouleversant ni révolutionnaire. Reste que « Roule » est une jolie brèche à creuser, que Guillaume prouve une capacité vocale insoupçonnée sur « Pour la lumière » ou « Sur la branche ». Mais surtout il reste leur plaisir si visible d’être là, leur oil qui s’allume lorsqu’ils vous parlent, cette passion non émoussée si rare au bout de tout ce temps. « On est fier de cet album et tout ce qu’on a raconté, cela fait trois ans qu’on avait envie de le dire! ». 

Blankass va bien et cela se voit. Blankass va bien, et cela s’entend.