Ils ont donc eu le temps de le peaufiner cet
Homme fleur. Pourtant, construire un album sans jamais être sûr
de sa sortie n’est pas chose facile. Surtout quand on a déjà
connu le succès. « Il y a des jours où c’était
vraiment difficile moralement, raconte Johan (guitariste et compositeur)
mais on avait une espèce de foi qui nous disait que dans n’importe
quel cas on arriverait à faire ce disque. Quand et comment sont
des questions qui restaient sans réponse. Alors on fonçait
et on travaillait. Cela a été deux ans et demi de répétitions,
d’écriture, donc finalement très productifs. Et cette histoire
nous a rendus vraiment très proches. Maintenant on se sait capable
de traverser une tempête ensemble. Je ne sais pas si beaucoup de
groupes seraient restés intacts après cela. » A côté
de lui, Guillaume (son frère, chanteur et parolier) sourit: «
On a gagné deux fois notre procès. On a gagné la liberté
et les dommages et intérêts face à Universal, mais
on a également gagné quelque chose de plus profond, comme
si l’on avait reçu un papier signé qui certifiait que l’on
était six frères. »
Réorganisation
Aujourd’hui, les deux (vrais) frères s’adonnent avec joie au
jeu de la promotion, courent de rendez-vous en rendez-vous sans rechigner,
mangent sur le pouce tout en s’excusant et en répondant à
la millième question de la journée. Au centre de la table
et de la conversation trône le disque « L’Homme fleur »,
un titre évoquant ceux, membres d’une tribu ancestrale, capables
de faire une centaine de kilomètres dans la jungle, rien que pour
chercher une fleur. A l’intérieur, les tâches y semblent plus
définies que sur les albums précédents. Guillaume
propose tous les textes, Johan est à l’origine de la majorité
des compositions, l’ensemble se termine avec la participation de tous les
membres de Blankass. Il arrive toutefois que Guillaume ait une idée
de musique. Johan acquiesce: « C’est en effet le cas pour ‘La croisée’
et ‘Pour la lumière’. Il arrive avec presque une grille d’accords
à la guitare et une mélodie de chant. Il traduit ce qu’il
a envie d’entendre et moi je bidouille avec cela ».
Autre exception: « Sur la branche », une chanson étonnement
acoustique pour ce groupe de rock, une formule épurée à
une simple guitare-voix. Cette fois-ci, c’est le bassiste du groupe qui
en est l’initiateur. « On était en répétition
et Bruno a soudainement joué cette mélodie, raconte Guillaume.
Il ne se rendait pas compte que j’étais totalement attentif à
ce qu’il faisait. Puis je l’ai chantée avec lui, j’ai écrit
des paroles. Il faut savoir que le titre définitif est la version
enregistrée en répétition, on n’y a pas touché,
elle a juste été remasterisée » Johan complète:
« On trouvait qu’il se passait quelque chose. C’est un premier jet
en fait. Il n’y a eu qu’un seul enregistrement de ce titre et c’est celui
là! »
Maturité
Mais parler de cette chanson c’est aussi faire allusion à l’évolution
de Blankass. Moins rock électrifié, moins hargneux, plus
assuré. Guillaume et Johan en ont conscience. « On va aujourd’hui
vers des choses simples. Il y a dix ans, on n’aurait jamais osé,
on aurait rajouté des tonnes de trucs. On a moins de complexes,
moins de pudeur. Pour Sur la branche, on aurait mis une deuxième,
voire une troisième guitare pour mieux se planquer! » Moins
se cacher vocalement, c’est ce que fait également Guillaume sur
ces nouveaux morceaux à l’énergie plus douce. « C’est
le premier album où je me sente bien vocalement. Il faut dire aussi
que le disque précédent était très tendu, très
braillard. Aujourd’hui, il y a une certaine sérénité.
»
La sérénité s’étend d’ailleurs jusque dans
les textes où les choses ne sont plus dites de la même manière.
Pourtant les thèmes restent inchangés: l’indépendance,
la liberté, la communication, le non-conformisme, l’imprévu.
Mais tout cela est simplement dit, non plus hurlé, revendiqué.
Guillaume explique: « Je n’ai plus envie de politiser mais d’humaniser.
Même la chanson sur le thème de la mondialisation n’est que
l’histoire d’un seul mec qui a été attiré par les
paillettes et qui s’est trompé. C’est mieux, la cause est la même
mais sans le côté donneur de leçon ». Même
le titre « C’est moi » qui aurait pu être le plus révolté
et revendicateur évite l’écueil. Le résultat en est
plus fort et affiche un côté mystérieux. « C’est
moi,c’est de la science fiction! C’est Alien en fait: quelque chose qui
vit à l’intérieur d’un corps et qui lui dit: A chaque fois
que tu dis non, que tu te révoltes c’est moi qui parle. »
Et pour les plus attentifs, une virgule musicale de quelques secondes reprenant
(à l’envers) un des thèmes musicaux de cette chanson, réapparaît
trois minutes après la fin du disque (une mini plage fantôme).
Cette fois c’est Johan qui reprend la parole en s’esclaffant: « L’idée
de faire un tout petit jingle caché au fond me plaisait beaucoup.
C’est un peu une référence à Sergent Pepper des Beatles.
Ici c’est bien sûr l’idée de la petite bête Alien qui
revient et qui signifie qu’elle est toujours présente! »
Un canal d’énergie
La dernière des surprises de L’homme fleur est la présence
d’une reprise surprenante: «Another Brick in the Wall » des
Pink Floyd. Nous sommes en effet loin des influences revendiquées
de Clash ou des Pogues. Quoique la version proposée dérange
l’originale bien secouée: « Cest une version un peu punk!
s’exclame Johan. Au départ, c’est un gag. Pour moi, ‘Another brick
in the wall’ est une chanson ambivalente. C’est un tube interplanétaire,
il y a une mélodie incroyable. En même temps, elle a un côté
incroyablement ringard. Donc la démarche était de prendre
une bonne chanson et de la bouleverser complètement, de la punkiser!
» Quoique encore, c’est Spider Stacy, ex-membre des Pogues qui y
prête sa voix écorchée « Spider est un ami. On
s’était dit qu’on ferait quelque chose ensemble un jour. On trouvait
cela rigolo de lui proposer cette reprise. Au début il a même
cru que c’était une blague! »
Les aficionados sont aux anges: Blankass a grandi. Ils ont creusé
un canal d’énergie pour éviter les inondations, aiguisé
leurs plumes sur pages et partitions, apaisé leurs âmes et
leur musique (il y a même du oud). Les détracteurs concluront
sûrement que la voix reste trop inspirée et peu inspirante
sur les chansons plus rocks, jugeront l’ensemble non bouleversant ni révolutionnaire.
Reste que « Roule » est une jolie brèche à creuser,
que Guillaume prouve une capacité vocale insoupçonnée
sur « Pour la lumière » ou « Sur la branche ».
Mais surtout il reste leur plaisir si visible d’être là, leur
oil qui s’allume lorsqu’ils vous parlent, cette passion non émoussée
si rare au bout de tout ce temps. « On est fier de cet album et tout
ce qu’on a raconté, cela fait trois ans qu’on avait envie de le
dire! ».
Blankass va bien et cela se voit. Blankass va bien, et cela s’entend.