Dans quel état d’esprit êtes-vous
au moment de la sortie de cet album, qui arrive enfin après maintes
péripéties ?
C’est une excitation énorme, j’ai un peu l’impression de sortir
la tête de l’eau. On n’a pas d’esprit revanchard. On a mis trois
ans à sortir de notre procès avec Universal, on voulait changer
de maison de disques. Aujourd’hui on revient enfin avec un nouvel album.
Ce qui nous fait le plus plaisir, c’est de retrouver la scène. C’est
ce qui m’a manqué le plus durant ces trois ans, ce moment où
tu montes sur scène, il y a un truc indescriptible qui se passe
dans ton ventre et que tu ne retrouves que là.
La relation entre Blankass et son public a toujours été
particulière…
Oui, on a toujours voulu cet espèce de mélange avec le
public, cette énergie à partager. Le public l’a senti très
tôt, dès le premier album. Ça donne des trucs bizarres
des fois, des gens qui se mettent à sauter sur une chanson très
lente, c’est assez marrant. Il y a une complicité énorme,
ils nous donnent énormément d’énergie durant les concerts,
j’espère qu’on leur rend bien.
Pendant ces trois ans il n’y a plus eu de concerts, un problème
de droits ?
Non, on pouvait mais on avait aucune actualité. On n’avait pas
le droit de signer dans une autre maison de disques, pas le droit d’amener
nos chansons ailleurs, donc au bout d’un moment les concerts, t’en a plus.
Et ceux qu’on nous proposait, on les refusait. Il y a même des potes
qui avaient des salles qui nous disaient : « On va faire un concert
Blankass », mais on leur disait d’attendre le troisième album.
On ne voulait pas leur faire prendre de risques, car il y a plein d’associations
où ce sont des bénévoles qui bossent, et programmer
un groupe qui n’a pas d’actualité c’est super dangereux. C’est une
prise de risque énorme que l’on ne voulait pas faire courir à
toutes ces associations rock. C’était une décision très
dure, mais on voulait attendre l’album, bosser sur le disque, travailler
les titres. On ne les a d’ailleurs jamais autant travaillés, il
faut dire qu’on a eu le temps. « L’ère de rien » est
un album qui avait été fait assez vite, composé et
enregistré tout de suite, sans que les morceaux soient joués
sur scène, ce qui en fait un album très compact, qui se tient,
mais peut-être trop. C’est un album qui a toujours le même
son un peu tendu, un peu sombre, que je ne renie pas du tout, mais avec
« L’homme fleur », on avait envie de faire quelque chose de
plus varié, plus éclectique, avec plein d’ambiances différentes,
des chansons tristes, gaies, lentes, rapides…c’est surtout cette direction
là que nous avions envie de prendre, un truc vraiment éclectique
et je pense qu’on a réussi à le faire. Pour cela, on a refusé
aucune idée, on a laissé les mélodies venir toutes
seules, on s’est laissé imprégner par des chansons qui n’étaient
pas forcément « du Blankass », mais qui étaient
assez malléables pour en faire quand même. A l’arrivée,
cela donne un album qui prend vraiment son temps, un disque serein, assez
posé, qui dit : « Voilà, je suis comme ça, c’est
à prendre où à laisser. »
Une expression que les journalistes aiment bien c’est «
la maturité », alors, est-ce un album plus mature ?
La maturité c’est souvent un beau mot pour parler de l’âge
(rires). Effectivement, on parle des mêmes choses à 30 ans
qu’à 20, mais plus de la même façon. Il y a un truc
qu’il faut dire et qui est vraiment important dans Blankass : quand on
écoute les trois albums, on se rend compte qu’on a toujours parlé
d’une seule chose : les gens, les rapports humains, ce qui fait qu’on arrive
à vivre ensemble tant bien que mal. A vingt ans j’en parlais comme
une galerie de portraits, de gens rencontrés dans les bistrots,
et à trente je parle des mêmes, mais à travers d’autres
histoires, comme la mondialisation par exemple, ou à travers des
histoires d’amour bien plus simples qu’avant. A 20 ans elles étaient
toujours très compliquées. Je pense que dans n’importe quel
métier artistique, plus on a d’expérience et de l’âge,
plus on va vers quelque chose de simple et de dépouillé.
C’est l’efficacité.
Comment avez-vous géré ces années de battement
?
Il y eu des moments de doute, mais jamais de découragement.
C’était pourtant la dèche totale… La troisième année,
avant qu’on trouve notre nouvelle maison de disques, je n’ai pas honte
de le dire : on n’avait plus aucun revenu. On ne pouvait même plus
payer les courses, l’eau, l’électricité, on avait les huissiers,
enfin c’était vraiment la dèche. Mais jamais personne dans
le groupe n’a dit : « Je vais m’en aller ».
Est-ce que ces années ont créé un lien encore
plus particulier entre vous ?
Non, je ne pense pas, elles ont juste confirmé ce que l’on pensait.
Depuis le début, on sentait bien qu’entre nous six il y avait vraiment
un truc, une envie de faire de la musique ensemble, que le résultat
commercial importait peu. On l’a toujours dit, on est là pour jouer
ensemble, que ça marche ou pas.
Comment s’est donc passée cette séparation avec
Universal ?
En fait, nous, on avait signé notre premier album chez Musidisc,
petit label indépendant, dans lequel on est arrivé en ce
disant que si jamais on en vendait 10 000, ce serait vraiment le rêve
car on serait sûr d’en faire un second. Finalement on en a vendu
150 000, puis 80 000 du deuxième. Quand on était en studio
pour enregistrer le second, Musidic a été racheté
par Universal, nous on ne le savait pas. On s’est donc retrouvé
chez Universal sans le vouloir et surtout sans négocier nos conditions
d’arrivée chez eux, car ce n’est pas la même boîte,
pas les mêmes gens, pas la même façon de travailler
et il nous semblait donc normal de donner nos conditions de travail, ce
qui n’a pas été possible avec eux. On a donc souhaité
quitter Universal et cela a été le point de départ
d’une procédure judiciaire.
Comment avez-vous réagi face aux coups de gueules de Noir
Désir et Aston Villa aux Victoires de la Musique contre Universal
et BMG ?
On était chez nous en train de répéter et d’en
chier, donc quelque part cela faisait plaisir de voir des gens parler des
maisons de disques et de dire ce qu’ils pensent aux Victoires de la Musique.
En même temps, pour parler honnêtement et franchement, je pense
que Noir Désir aurait dû quitter Universal le lendemain de
la déclaration. J’ai été déçu qu’ils
ne le fassent pas, même si j’ai plein de respect pour eux et que
je les adore. Je pensais vraiment qu’ils le feraient, qu’ils avaient le
pouvoir et le poids pour le faire bien, celui qui nous a manqué
pour le faire sans que cela nous prenne trois ans.
La résistance doit se faire de l’extérieur ?
Ouais…(soupirs, réflexion) Mais on est tous dans ces problématiques…
Même si Up Music est un gros indépendant, on est distribué
par Warner. Le truc qu’on peut accepter c’est uniquement si tout le monde
s’y retrouve. Et c’est là que ça ne va plus lorsqu’on parle
de mondialisation et de l’Organisation Mondiale du Commerce. Un échange
commercial entre un artiste et une maison de disques peut être viable
et possible, mais il faut que tout le monde s’y retrouve.
Votre tournée a débuté, combien de temps
va-t-elle durer ?
Oui, depuis le 28 mars. Mais on ne fonctionne pas en terme de «
tournée ». Là, il se trouve qu’on a fait un break donc
il y a un début, mais généralement il n’y a jamais
de début ni de fin de tournée, puisque on tourne à
l’année. On adore ça. Il y a des gens qui font des tournées
pour promouvoir un album, nous on fait l’inverse : on enregistre des disques
pour pouvoir continuer à tourner. Il n’y aucune appréhension
même si on a été absent longtemps. On va recommencer
par des petites salles, il ne faut pas griller les étapes, mais
on va au moins tourner jusqu’à l’été 2004.